"La Place des habitants
dans la Politique de la Ville".
Avis du CNV
La démocratie participative est inscrite depuis son origine
dans les principes de la politique de la ville. Cette participation
est née à la fois de la mobilisation dhabitants
et de certains représentants de services publics autour de
projets de développement social et urbain.
Axée sur le cadre de vie dans les années 70, elle
était soit revendiquée par des groupes dhabitants
qui sétaient autoorganisés ( la référence
reste "lAtelier Populaire dUrbanisme" de lAlma
Gare à Roubaix) soit organisée par les pouvoirs publics
dans le cadre de structures de concertation.
Dans les années 80, les enjeux de la participation, avec
les opérations "Habitat et Vie Sociale", puis "Développement
Social des Quartiers", se concentrent sur la reconstitution
de la vie sociale dans la sphère du quartier avec des objectifs
bien délimités tels que lamélioration
du cadre de vie, une meilleure appropriation de lenvironnement
quotidien. Parallèlement de nouvelles formes de gestion des
services sont expérimentées, avec une présence
active ou même une prise en charge par les habitants (exemples
: les régies de quartier, les halte-garderies
), sans
quelles soient reliées au départ, à la
réflexion sur la démocratie locale.
Or, lampleur de la crise sociale, ses répercussions
sur les modes de vie urbain ont, au cours des années 90,
enfermé dans lexclusion de nombreux habitants des quartiers
et fragilisé les processus démocratiques classiques.
Dans le même temps, les enjeux de proximité sans cesse
plus nombreux ( concertation sur le cadre de vie, développement
de microprojets gérés par les habitants
) sont
mieux apparus comme sinscrivant aussi dans lexercice
de la démocratie locale.
Par ailleurs, limportance prise par dautres échelles
de territoire (la ville, lagglomération) a fait apparaître
des circuits de décision complexes et de nombreux niveaux
auxquels la participation citoyenne doit trouver sa place.
Sur ces enjeux de proximité, la politique de la ville a
ouvert le champ au développement des expérimentations,
des savoir faire de mieux en mieux partagés. Mais des questions
se posent encore sur la manière de consolider ces démarches,
sur leur impact sur les politiques publiques. Lanalyse effectuée
par la DIV sur "la place des habitants dans la politique de
la ville" à partir des conventions cadre des sites de
préfiguration, en atteste : les démarches proposées
relèvent encore beaucoup de la prestation spécialisée,
déléguée à linitiative des habitants,
sans que lensemble du champ de laction publique sen
trouve modifié.
La question de limplication des habitants :
- touche fondamentalement aux évolutions dans lexercice
de la démocratie locale,
- a vocation à intervenir dans tous les domaines de laction
publique.
- ne doit pas se limiter aux quartiers prioritaires de la politique
de la ville mais concerne bien lensemble de la population
dune ville, dune agglomération.
La nouvelle génération des contrats de ville, ainsi
que les grands projets de ville, constituent des laboratoires pour
rénover la démocratie locale, pour interpeler lensemble
des politiques publiques .
Lenjeu de la ville comme lieu dans lequel sexprime
lappartenance à la cité et par là même,
lieu dexercice de la citoyenneté, doit être considéré
plus largement. Le temps des territoires autarciques est révolu.
Les lieux de décision sont de plus en plus complexes et dépassent
le cadre dun territoire délimité: les niveaux
de décision interagissent de plus en plus, du pied dimmeuble
aux enjeux mondiaux. Le citoyen local est aussi citoyen dEurope
et du monde et il le revendique de plus en plus. Aussi, cest
larticulation entre les niveaux de décision qui doit
être mis en avant.
La ville constitue une ouverture à une vision démocratique
de la société, créer lEurope des villes
va dans ce sens.
I . Le renouvellement de la décision publique dans la
politique de la ville
Le ministre de la ville a fait part à plusieurs reprises
de sa volonté de donner un nouvel élan à la
démocratie locale afin que chacun puisse y jouer un rôle
direct et réel, en permettant aux habitants de prendre part
au devenir de leur ville, en rénovant les modes de décision,
en développant les espaces dinitiative individuelle
et collective, en inventant de nouvelles formes dimplication
des populations.
Ceci se traduit notamment par lobligation faite aux partenaires
de la nouvelle génération des contrats de ville de
prévoir les modalités de mise en uvre dune
démarche participative, par lincitation à concevoir
de manière partagée les grands projets de ville.
Les évolutions récentes du cadre législatif
Le cadre législatif de référence en la matière
a évolué vers une intercommunalité plus forte
quaccompagne la mise en place de processus de concertation.
La loi relative à lorganisation urbaine et à
la simplification de la coopération intercommunale donne
une reconnaissance légale aux comités consultatifs
crées par les établissements publics de coopération
intercommunale, sur le modèle prévu par la loi du
2 février 1992 pour le niveau communal.
La loi dorientation pour laménagement et le
développement durable du territoire crée les conseils
de développement qui sont composés de représentants
des milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs.
En ce qui concerne les agglomérations, leur consultation
est obligatoire sur lélaboration des projets dagglomération,
facultative sur toute question relative à laménagement
et au développement de lagglomération.Ces conseils
sont crées sur délibération conjointe des communes
et groupements de communes associés au projet dagglomération.
Ces dispositifs constituent un cadre minimum pour lintervention
des habitants et de la société civile au niveau de
lagglomération. Ceci implique que les élus fassent
preuve dimagination pour concevoir les outils à ce
niveau de territoire. Ils ont cependant lintérêt
de mettre en évidence la nécessité dorganiser
la place des acteurs et des habitants au niveau de lagglomération,
à chacun de sen saisir pour proposer des outils adaptés,
innovants
comme cela sest fait à léchelle
communale ( ex : création dun conseil économique
et social local, création dun conseil de jeunes, création
dun conseil détrangers
). Toutefois, larticulation
entre ces conseils consultatifs et conseils de développement
reste à préciser : rôle et place de la société
civile, de groupes dhabitants en fonction des objectifs assignés
à cest structures.
Le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement
urbains (*) prévoit dune part, la possibilité
de consulter des associations sur lélaboration des
documents durbanisme et dautre part, la mise en place
dans le parc social de nouveaux dispositifs : le plan et le conseil
de concertation locative.
En matière de planification, les dispositions sont extrêmement
modestes puisquelles ne concernent que la phase délaboration
des documents. Les associations peuvent être consultées
à leur demande.
Compte tenu des ambitions affichées, les mesures envisagées
paraissent bien modestes. Sil est indéniable que la
volonté politique des élus est indispensable pour
qe la participation des citoyens à la décision publique
soit effective, légiférer sur cette question peut
amener certains décideurs locaux à faire évoluer
leurs pratiques. Au delà dun certain nombre de villes
qui mènent une véritable politique en la matière
ou qui expérimentent des formes de démocratie participative,
chaque citoyen doit pouvoir revendiquer un "droit à
être consulté". Pour cela, un cadre minimum doit
être donné par le législateur.
En matière dhabitat, les dispositions marquent une
avancée réelle. ,Ces dispositions marquent une avancée
réelle dans la mise en uvre dun processus de
concertation entre bailleurs et locataires. Elles consacrent la
nécessité dimpliquer dautres décideurs
que la commune dans ces démarches : les bailleurs sont des
partenaires essentiels au renouvellement urbain. Elle reconnaît
comme interlocuteur possible des groupes de locataires sans statut
associatif.
Cependant, quelques restrictions apportées par le législateur
réduisent lambition du texte : laffiliation obligatoire
à des organisations siègeant à la commission
nationale de consultation, labsence de mention du rôle
du conseil de concertation en matière de suivi des décisions.
Une garantie : la charte locale de participation
La reconnaissance de la place des habitants dans lélaboration,
le suivi et lévaluation des contrats de ville et des
grands projets de ville renouvelle le processus de la décision
publique. Celle-ci doit, dans le respect des compétences
et des responsabilités des élus et des administrations,
tenir compte des apports des professionnels de terrain, des habitants
et des corps intermédiaires des administrations.
Ceci conduit à remettre en question les modes dorganisation
des acteurs (élus et services municipaux notamment), mais
également de lensemble des intervenants sur la ville
( administrations et services publics, acteurs économiques,
sociaux, culturels, associatifs
).
Quil sagisse des contrats de ville ou des Grands Projets
de Ville, leur mise en uvre nécessite de sadapter
à cette nouvelle logique et donc à prévoir
en amont, les modalités de collaboration entre les divers
acteurs, y compris les acteurs habitants.
Le principe de base demeure la reconnaissance des trois acteurs
: pouvoirs publics, techniciens/professionnels, habitants pour créer
du débat, faire émerger des solutions, des projets,
même si chacun peut revendiquer le titre de citoyen pour "faire
ensemble".
Ainsi, parle-t-on de coproduction de la décision, et en
amont coproduction des règles qui vont la fonder.
Pour garantir ce changement profond dans les processus de décision,
afin d'organiser un travail commun durable et assurer la confiance
et la transparence, le CNV préconise lélaboration
dune charte locale de la participation.
Cette charte coproduite avec les habitants, doit être consubstancielle
du contrat de ville ou des autres conventions et simposer
à toutes les parties signataires. Elle vaut engagement pour
tous, y compris pour les habitants.
Pour respecter lidée de dynamique, la charte peut
être évolutive.
En premier lieu, la charte énonce les principes généraux
pour associer les différents acteurs concernés. Elle
indique comment linformation de lensemble des acteurs
va être organisée. Elle donne ensuite avec précision,
les règles organisant la coopération, le rôle
et les prérogatives de chacun.
Elle est loccasion pour le maire de préciser ce qui
est négociable et ce qui ne lest pas. La charte organise
également la transparence sur les contraintes, sur le statut
et le rôle des responsables administratifs et techniques,
sur les possibilités de collaboration avec dautres
acteurs intervenants sur la ville.
Elle doit être discutée :
- avec lensemble des habitants sous forme dassemblées,
de forum, ou dans le cadre des conseils consultatifs communaux
et/ou dagglomération
.
- avec les partenaires du contrat ou du projet, en particulier
lEtat local, dans le cadre notamment des conseils de développement.
Les habitants ne pouvant être signataires des conventions
locales, cette charte constituera auprés deux un engagement
formel de lensemble des autres acteurs sur les principes de
travail en commun.
Elle fera lobjet dune délibération dans
les conseils municipaux :
la publicité, les possibilités de recours, les modalités
de suivi-évaluation devront être mentionnés
dans la charte.
II Quelques principes pour organiser la participation
Lélu garant de lintérêt général
De ces espaces de débat, de la confrontation des points
de vue doit naître la décision publique, sous la responsabilité
de lélu, garant de lintérêt général
.
Les maires de par le suffrage universel sont les représentants
des populations et ils ont, à ce titre, dans le contrat de
ville, un double rôle en tant que porte parole des besoins
des
habitants et en tant que garant de lexpression directe des
citoyens. Lélu a ainsi, un rôle majeur à
jouer pour que lintérêt général
soit respecté. Celui-ci se définit non comme la
somme dintérêts particuliers,mais en référence
au contrat social, aux valeurs de la République et aux engagements
politiques de lélu.
Dans le débat local, lobjectif est de rechercher
la diversité plutôt que la représentativité
: diversité des groupes dhabitants impliqués
dans leur quartier, leur ville, diversité des méthodes
et des dispositifs, diversité des partenaires à qui
lon sadresse.
En effet, lhabitant est aussi citoyen, parent délève,
usager dun service public, locataire
les façons
de faire doivent prendre en compte ces multiples facettes.
Limplication des habitants jusque dans lévaluation
de laction publique
La participation des habitants recouvre plusieurs réalités
: linitiative habitante (en matière déducation
par exemple : aide aux devoirs, échanges de savoirs
),
la coproduction de services ( gestion urbaine de proximité
)
la participation à lélaboration de la décision
publique (prévention de la délinquance et sécurité
).
Mais il faut aller plus loin. Limplication des habitants dans
lévaluation de lensemble de laction publique
mérite dêtre posée. On reconnaît
à lhabitant des compétences spécifiques
pour initier un projet, coproduire un service, participer à
un diagnostic ou même à lélaboration dune
décision, dune politique. Par contre, son rôle
en matière dévaluation des politiques menées
est trop peu reconnu.
Le rôle de lEtat local est important pour développer
le rôle des habitants dans lévaluation des services
publics, de leur modernisation, il doit être en mesure dapporter
des éléments de méthode pour impliquer les
habitants.
Les associations et la parole directe des habitants
A côté de la parole directe des habitants, lenjeu
est de mobiliser le tissu associatif sur ces questions, de sinterroger
sur ses missions, de l aider à retrouver une capacité
à agir au plus près des habitants. Selon leur vocation
(délégataires de services publics ou animation), leur
rôle nest pas le même et les modes de relation
différents : par exemple, le contrat dobjectifs, le
soutien à la réalisation de projets, la mise en réseau
pour des économies de moyens, lorganisation des circuits
dinformation..
III. Des moyens clairement identifiés
Des espaces publics de débat et de négociation
Des espaces et des modalités de négociation et de
médiation existent déjà un peu partout, dans
les mairies, dans les services publics, dans différentes
instances locales (entreprises, associations, clubs...). Faire linventaire
de ceux-ci permettra didentifier les habitants, les usagers
...que lon touche et ceux (les jeunes, les plus défavorisés,
la majorité silencieuse....) dont la mobilisation est plus
difficile à tenter.
Les réunions à domicile, les rendez-vous dans les
cages descalier, le porte à porte, le théatre,
les évènements festifs,..... sont autant doutils
complémentaires utilisables pour tenter de mobiliser le plus
grand nombre.
Un plan de participation
Les services publics, les entreprises, les lieux culturels, mais
aussi les parcs, les jardins, les places,les lieux remarquables,
les cages descalier....sont des lieux déchanges
parmi dautres.
La première étape devrait être détablir
" un plan de participation "qui mettrait en évidence
pour chaque ville, les lieux et les dispositfs effectivement investis
par la population et sur lesquels les élus et les services
publics pourraient prendre appui pour favoriser la mobilisation
citoyenne.
Apprendre à comprendre la ville et lespace public,
cest également sinitier à la démocratie
pour les habitants comme pour les institutions.
Le renforcement des capacités des habitants
Plutôt que de se borner à former les habitants à
être ....des habitants, de " bons citoyens, il faut développer
leurs capacités pour mieux comprendre lorganisation
urbaine et sociale de notre société, afin de trouver
les moyens de se mobiliser, dêtre citoyen-acteur. Les
lieux sont multiples, pas forcément spécifiques dailleurs.
A linverse, les lieux identifiés comme des lieux de
formation sont également des lieux de mise en réseau,
de militance....
Enfin, les habitants ne sont pas les seuls concernés. Les
élus, les techniciens, les administrations ne sont pas forcément
bien préparés à affronter le débat contradictoire,
nont pas forcément connaissance des méthodes
requises pour le mettre en oeuvre, pour favoriser le décloisonnement
et le travail collectif.
Lenjeu pour les trois composantes que sont les pouvoirs
publics, les techniciens et les habitants cest dapprendre
à parler puis à construire ensemble.
Des moyens budgétaires et dexpertise
Lexpérience quotidienne montre que toutes ces initiatives
de participation des populations à la vie collective nécessitent
des moyens budgétaires spécifiques, facilement mobilisables
et souples. Un certain nombre de possibilités vont dans ce
sens : fonds dinitiative locale, 1% associatif, et plus récemment
la généralisation des fonds de participation des habitants.
La participation des habitants a un coût quil convient
de reconnaître et dintégrer dans les politiques
publiques.
Par ailleurs, les habitants mobilisés sur un projet doivent
pouvoir faire appel éventuellement à de lexpertise
indépendante pour consolider leur point de vue face aux administrations.
Il faut en prévoir les financements.
Des moyens humains et des positionnements adaptés
Organiser, construire la parole, gérer les conflits, traduire,
valider, rapporter les termes de léchange, évaluer,
piloter
.nécessite du temps, un positionnement clair
et des moyens humains.
Plusieurs problèmes sont à examiner au regard des
nouvelles stratégies de participation :
- pour les élus,: la redéfinition de leur statut
pour le mettre en adéquation avec ce qui leur est demandé
aujourdhui.
- pour les professionnels, les maîtres duvre,
les techniciens, des évolutions quant à leur formation,
au cadre législatif qui régit leur mode dintervention
(loi maîtrise douvrage publique).
- les médiateurs issus du dispositif "nouveaux services,
nouveaux emplois" ou les maîtres doeuvre convertis
à ce type dingénierie ont des statuts flous,
insuffisamment adaptés.
- pour les habitants, il est important de clarifier la situation,
entre "habitant impliqué" et "habitant relais",entre
habitant bénévole et élu social, leur rôle,
leur statut diffèrent.
Février 2000
(*)Voir avis du CNV sur le projet de "Loi SRU".
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