APPEL DE MORSANG
Le colloque national "Quand le local est confronté
à la mondialisation libérale. Les collectivités,
ancrages du sursaut citoyen", organisé les 28 et 29
janvier 2000 par Attac et la municipalité de Morsang-sur-Orge
(Essonne), a débouché sur une déclaration en
forme d'appel aux citoyens et à leurs élus.
L'Appel de Morsang a été adopté à
l'issue d'un débat présidé par Michel Bergson,
président du conseil général del'Essonne, assisté
de Bernard Cassen, président d'Attac, Pierre Tartakwosky,
secrétaire général et Daniel Monteux, membre
du bureau de l'association.
Acteurs locaux, citoyens et élus, fonctionnaires territoriaux,
spécialistes de la politique de la ville, syndicalistes,
militants associatifs, nous constituons un maillon spécifique
de la chaîne nationale et internationale de résistance
à la mondialisation libérale. Celle-ci n'est pas plus
fatale que la prégnance de la logique des marchés
financiers sur les activités humaines n'est pas indépassable.
Y résister relève d'un devoir de civilisation.
L'échec de la conférence ministérielle de
l'OMC à Seattle et l'intervention décisive d'une société
civile en passe de devenir planétaire témoignent de
l'émergence d'alternatives internationales.
Parce que nous vivons et travaillons dans une ville, une collectivité
locale, nous sommes confrontés, à des titres divers,
aux mécanismes d'une mondialisation financière qui
pèse sur tous les aspects de la vie locale. Alors que l'ouverture
au monde constitue une opportunité d'échanges, de
développement et de coopérations, nous vivons la montée
des inégalités et des ségrégations,
la mise à mal des principes d'égalité et de
solidarité.
Les délocalisations d'entreprises, la mises en friche de
terres agricoles, la dégradation de l'environnement et du
cadre de vie, s'inscrivent dans une logique de concurrence des territoires
génératrice de fractures profondes. Les services publics,
victimes de politiques de privatisation sont soumis à des
logiques de profit et systématiquement placés en situation
de faiblesse pour répondre aux besoins exprimés et
améliorer la qualité de leurs missions. L'emploi,
la formation, la culture, la santé, le logement, les infrastructures
sont profondément fragilisés et deviennent des enjeux
de civilisation.
Dans ce contexte, trois ou quatre multinationales françaises
se sont assuré une situation de quasi-monopole. S'inscrivant
dans l'éclatement des territoires, s'appuyant sur la dispersion
et la faiblesse d'expertise des pouvoirs locaux, sur l'affaiblissement
des services publics et sur nombre de directives d'origine communautaire,
elles ont su, progressivement, se rendre incontournables. Des secteurs
comme la production et la distribution de l'eau, l'assainissement,
les réseaux de communication, les déchets ménagers,
la restauration collective, les transports collectifs, le mobilier
urbain, le logement, sont entre autres, de plus en plus souvent
captifs de critères marchands imposés par les entreprises,
les opérateurs privés et certains gestionnaires publics.
Les appétits insatiables de la sphère financière
pour capter le "marché des collectivités locales"
appellent la construction de ripostes convergentes. Rispostes d'autant
plus nécessaires que la perte de maîtrise des choix
démocratiques s'accompagne d'opacité, d'insuffisance
de contrôle, d'un retour à un territorialisme étroit,
d'un pouvoir des "notables", d'une corruption qui s'étend.
Malgré cela, des collectivités ont su, depuis les
lois de décentralisation, préserver d'importantes
marges d'intervention et d'innovation. Des démonstrations
se font de gestions plus efficaces, appuyées sur des choix
démocratiques et solidaires, sur la compétence des
élus, sur l'investissement des acteurs de terrain. Ainsi
s'expérimentent un savoir-faire et des formes de démocratie
participative qui peuvent devenir des sources d'inspiration pour
l'ensemble de la société.
Ces pratiques citoyennes constituent autant de points d'appui et,
mises en perspectives, elles sont de nature à susciter de
nouveaux champs de réflexion, d'intervention et d'action,
susceptibles de refonder une authentique démocratie locale.
Dans cette perspective, les lois du 16 juin 1999 (loi d'orientation
pour l'aménagement et le développement durable du
territoire) et la loi du 12 juillet 1999 (loi relative au renforcement
et à la simplification de la coopération intercommunale,
dite loi intercommunale) instituent de nouveaux cadres possibles
de coopération et de solidarité pour les collectivités.
Sans être exemptes de dangers, elles peuvent, combinées
avec une nécessaire intervention des populations, offrir
des opportunités pour engager des stratégies offensives,
dégagées des logiques de compétition locale.
Pour toutes ces raisons, les collectivités locales constituent
le terrain privilégié à partir duquel les citoyens
et leurs élus peuvent faire barrage à la marchandisation
du monde et développer des solidarités internationales.
Pour poursuivre la réflexion et le débat, nourrir
les actions nécessaires, pour "penser global et agir
local", nous proposons quatre grandes priorités sur
lesquelles des rassemblements sont possibles et urgents :
1.- Répondre aux besoins de démocratie locale
- Face à des décisions économiques qui prennent
de plus en plus la dimension du fait accompli, il nous faut revivifier
la démocratie locale, lutter concrètement contre
les inégalités sociales et culturelles, répondre
aux attentes et besoins des citoyennes, des citoyens. Cela passe
par la confrontation entre ces derniers, les décideurs
économiques et sociaux pour, enfin, imaginer d'autres possibles.
- Face à la connivence des opérateurs privés,
il nous faut promouvoir un observatoire des collectivités
locales qui aurait pour fonction d'élaborer des propositions
assurant des convergences d'attitudes et d'actions. Cela permettrait
également de nouvelles coopérations entre collectivités
locales.
- Le droit de vote des étrangers résidents en France
devient une exigence démocratique de bon sens, un facteur
de développement maîtrisé des villes et des
quartiers.
2.- Répondre aux besoins de financement
- La financiarisation de l'économie permet à une
partie essentielle de la richesse réelle des grandes entreprises
d'échapper à l'impôt. La fiscalité
devrait, au contraire, inscrire l'entreprise dans une relation
citoyenne et responsable à l'égard de son territoire.
De ce point de vue, le contrôle des fonds publics s'impose,
ainsi que le remboursement des sommes détournées
de cet objectif.
- De même, il apparaît indispensable de repenser les
outils publics d'intervention financière mis à disposition
du développement local en termes de péréquation,
de prêts et de crédits publics. Et ce, aux plans
local, national et européen.
3.- Répondre aux besoins de développement
- Il est urgent de donner aux services publics les moyens de jouer
pleinement leur rôle d'acteurs économiques, générateurs
de lien social ; d'accroître leur efficacité en réponse
aux besoins nouveaux ou insuffisamment satisfaits.
- La lutte contre les inégalités sociales doit s'appuyer
sur des politiques publiques et volontaristes d'emploi, faisant
appel à l'ensemble des acteurs économiques : secteur
privé, secteur intermédiaire, coopératif
et associatif. Ces politiques doivent bénéficier
des instruments législatifs et des moyens financiers nécessaires.
- Il convient de rompre avec la marchandisation de l'eau pour
lui substituer, au service du citoyen usager, une logique de gestion
d'une ressource partie intégrante du patrimoine de l'humanité.
Il en va de même pour le ramassage des déchets ménagers
qui nécessite de lourds investissements et se heurte aux
logiques de rentabilité.
4. - Répondre aux besoins culturels
- Face à une mondialisation marchande qui exclut de plus
en plus de jeunes et de moins jeunes, qui perpétue un état
d'infra-citoyenneté dû au sentiment de perte de contrôle,
d'impuissance, de fragmentation de l'existence, la culture et
l'art peuvent être des terrains privilégiés.
- Il est donc souhaitable que, parallèlement à la
lutte contre la précarisation et l'exclusion, les villes
mettent en place davantage de lieux, activités et moyens
favorisant la création culturelle et artistique.
5. - Répondre aux besoins d'échanges et de coopérations
- Face à une mondialisation qui exacerbe la concurrence,
il est temps de stimuler et de démultiplier les initiatives
pour une nouvelle entente internationale, particulièrement
avec les pays du Sud et ceux d'Europe de l'Est. Rapprochements,
coopérations, transferts divers sont possibles et souhaitables,
s'ils inscrivent dans la perspective d'un développement
durable et partagé, s'ils visent l'utilisation respectueuse
et rationnelle des ressources naturelles.
- Dans ce cadre, les grandes questions de l'annulation du système
de la dette, du financement du social à l'échelle
mondiale, intégrant les droits matériels et politiques
de la personne humaine, notamment au logement, à l'accès
à l'eau, à un environnement sain, à la santé
et à l'éducation, constituent autant de terrains
de coopération et d'échanges. La construction de
relations entre villes soutenant le projet d'une taxe Robin s'inscrit
dans ce champ de solidarité.
- Citoyennes, citoyens, élus et acteurs locaux, il nous
appartient de nous saisir de ces enjeux. Pour cela, nous appelons
au développement d'un grand débat national et international,
résolument tourné vers l'action. Car il s'agit bien,
ainsi que le souligne la charte d'Attac, de se "réapproprier
ensemble l'avenir de notre monde".
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