Déclaration de Dakar
"document de référence" pour le RIAH (7
février 1998)
Introduction
Après trois, voire quatre décennies de gestion centralisée,
les Etats africains ont été confrontés à
des difficultés économiques. Cette situation les a
contraints à abandonner de larges pans de leurs prérogatives
aux habitants et aux ONG. Face à cette impasse la décentralisation
semble constituer la dernière chance ou la panacée
pour ces Etats.
Cette nouvelle donne, fait des habitants des partenaires ou des
acteurs indispensables dans la gestion de lEtat et des collectivités
locales. Cest dans ce contexte que sinscrit la rencontre
de Dakar.
Pour la première fois des élus locaux représentants
des associations nationales de maires, des techniciens publics et
non gouvernementaux des villes et des habitants venant des dix pays
dAfrique de lOuest et du Cameroun se sont rencontrés
à Dakar du 5 au 7 février 1998, dans un esprit dégalité,
de dialogue franc et amical pour jeter les bases de nouvelles formes
de collaboration entre eux.
Par cette rencontre lAfrique de lOuest et le Cameroun
soulignent limportance des villes africaines dans lavenir
du continent et la place des milieux populaires dans la construction
et la gestion des villes. Elle prend le relais dun processus
international entamé en Amérique Latine en 1991, poursuivi
à Istanbul à la Conférence Habitat II en 1996
qui vise à transformer en profondeur les politiques publiques
à légard des quartiers populaires.
Encouragée par laffirmation du maire de Dakar, Président
de lassociation des Maires sénégalais, en début
de rencontre, de la nécessité dun changement
profond des pratiques de la part des Maires et constatant la possibilité
de dépasser la méfiance mutuelle qui marque en général
ces rapports, la rencontre de Dakar a rassemblé les 3 collèges
élus, habitants et professionnels. A partir des expériences
relatées par les habitants et les professionnels et du récit
des difficultés et des déceptions, les élus
locaux ont été amenés à reconnaître
que la décentralisation telle quelle est pratiquée
actuellement nest pas ce quelle devrait être *.
Le constat général a été fait que lEtat
a démissionné ** et que la situation actuelle révèle
de nombreux paradoxes ; alors quil existait des cadres traditionnels
éprouvés, la décentralisation superpose de
nouveaux cadres administratifs ou politiques qui paraissent inadaptés
et affaiblissent les premiers.
- Dans le même temps, des repères culturels traditionnels
qui auraient pu évoluer dans le contexte de la décentralisation
se désintègrent malheureusement dans le milieu urbain.
- Par ailleurs, lélection, fondement de la démocratie
locale, qui traditionnellement confère à lélu
en Afrique un véritable "devoir de servir" est
souvent interprétée de nos jours comme un "droit
de faire ou de décider" unilatéralement.
- Le Maire qui devrait être à lécoute
et au service de lensemble de ses habitants semble parfois
se comporter autoritairement, ne prenant en compte que ses propres
intérêts et ceux de sa famille politique.
- Le "dire", cest-à-dire les promesses,
et le "faire", cest-à-dire les réalisations,
présentent souvent un écart important ou sont contradictoires.
- Partout de nombreuses initiatives dhabitants sont à
loeuvre mais elles sont souvent combattues ou ignorées
par le Maire.
- Le maire a plus tendance à "faire à la place
des habitants", sans les consulter alors quil devrait
les associer et les aider dans leurs actions.
- Le maire, les ONG et les habitants peuvent avoir des intérêts
et/ou visions divergents. Ces contradictions sont exacerbées
par labsence de cadre de concertation.
- Les habitants ont certes des droits, ils ont aussi des devoirs
de citoyen que malheureusement ils nexercent pas toujours.
- Les techniciens des collectivités locales qui devraient
dabord être au service des habitants sont parfois victimes
de pressions du politique ou de leur trop envahissante vision de
technocrate.
- Les ONG qui devraient être à lécoute
et au service des habitants se substituent souvent à eux
ou sont plus préoccupés par les priorités des
bailleurs de fonds. Cette situation met en relief le paradoxe de
pays développés qui, prônant la démocratie
en Afrique, favorisent dans le même temps limmixtion
des ONG dans les affaires de lEtat ou des collectivités
locales ce qui perturbe le jeu démocratique.
- LEtat doit reconnaître son poids dans la gestion
de la ville. Cest lui qui finance les grands équipements,
édicte les règles de la comptabilité publique,
fixe ses normes, constitue le modèle de la segmentation de
laction publique en multiples services. Il éprouve
les plus grandes difficultés découte et de coopération
à légard des maires et à légard
des habitants. Cest lui aussi qui donne limage de laction
autoritaire. Cest lui enfin qui affecte, selon ses propres
critères, lessentiel des moyens sur la transformation
de lEtat que cela nécessite.
Forts de ce constat partagé, les trois collèges
de la rencontre internationale de Dakar ont proposé un cahier
des charges pour laction dont les principes pourraient servir
de guide aux maires, aux professionnels et aux habitants dans le
cadre de leurs actions quotidiennes et concrètes qui pourraient
être mises en oeuvre par les habitants et/ou avec la collaboration
des maires et techniciens.
Code de bonne conduite
Savoir écouter et se faire écouter pour anticiper,
comprendre et accompagner les mutations en cours. Par le dialogue
lhabitant doit se retrouver avec son élu dans un rapport
de voisinage.
Sengager à agir dans le cadre de la loi et exiger
son respect et mettre en place les dispositifs de contrôle.
Sengager à une collaboration mutuelle et mettre en
place un dispositif partenarial pour la gestion de la cité.
Cahier des charges
Dans chacun de nos pays, les gouvernants doivent mettre en oeuvre
les mesures propres à :
- - instituer un système décentralisé qui
tienne compte de la spécificité socioculturelle
africaine sinspirant davantage des modes traditionnels de
gestion de la communauté;
- - mobiliser les moyens propres à satisfaire les engagements
de lEtat et des collectivités locales; surtout ne
pas se servir du manque de moyens comme un alibi à linaction
mais au contraire le faire valoir commune une justification du
partenariat;
- - réinventer des repères communs à limage
des repères traditionnels;
- - sengager à une formation citoyenne à tous
les niveaux, sur le plan théorique et pratique, afin détablir
un dialogue social permanent de la base vers le sommet et du sommet
vers la base, condition sine qua non pour une bonne décentralisation;
- - définir et accepter le rôle de chaque acteur
(domaine réservé à lEtat : infrastructures
lourdes, sécurité, école publique...; engagement
des habitants : entretien de la cité, encadrement des enfants...;
professionnalisme des techniciens : être au service de lintérêt
général).Charte pour laction locale
Une charte pour laction locale doit permettre de :
- - mieux préciser le rôle de chaque acteur social
: élus/professionnels/habitants dune part, mais également
les pouvoirs traditionnels et favoriser les interactions entre
les uns et les autres en mettant en place des règles du
jeu bien définies;
- - améliorer les relations du couple habitants et élus
afin que la claire décision quils prennent à
deux permette lintervention des différents autres
acteurs dans la production et la gestion de la ville (ONG, chefs
traditionnels, techniciens) et mettre en place un système
de concertation, de suivi et dévaluation impliquant
les différents acteurs concernés aux différentes
phases.
Les principes généraux suivants constituent le cahier
des charges de la concertation :
- - les élus et les techniciens doivent préciser
comment ils feront pour connaître et reconnaître les
aspirations, les initiatives et les compétences des habitants;
- - les habitants doivent disposer dun lieu et dun
appui neutre pour les aider à formuler leur parole, leurs
aspirations et leurs propositions et se former au dialogue, sans
se substituer à eux;
- - la diversité des aspirations dun même quartier
doit être reconnue, la parole des sans voix doit être
recherchée. Les formes de concertation traditionnelles
doivent être revisitées pour voir si elles peuvent
offrir des formes adaptées de concertation au sein de la
communauté;
- - ladministration doit être réorganisée
pour être à lécoute de la population
car le découpage même des services et des budgets
soppose en fait à la rencontre réelle des
aspirations des habitants, même quand les techniciens et
les élus en ont réellement le désir. Des
interlocuteurs responsables, permanents et compétents même
en labsence du maire doivent être désignés
;
- - les services publics doivent sadapter au rythme réel
des habitants. ils doivent montrer leur capacité à
réagir rapidement aux situations durgence, dire comment
ils prendront le temps du dialogue et de la construction de la
confiance, se comporter en partenaires capables de sengager
pour le long terme;
- - des formes dintervention publique doivent être
trouvées pour permettre lassociation effective de
moyens privés et publics pour soutenir linitiative
conjointe des habitants et des services publics ;
- - sur chaque projet, sur chaque action, et à chaque étape,
les rôles de chacun (ONG, services techniques, élus,
habitants) doivent être clarifiés et contractualisés
;
- - cette contractualisation doit décrire la tâche
précise sur laquelle chacun sengage. A cet égard
les chefs traditionnels ont toute leur place à prendre,
notamment pour convaincre les populations du bien-fondé
de certaines décisions. Une décision élaborée
de façon consensuelle est la condition dune bonne
exécution
Initiatives concrètes
Une formation à la citoyenneté
La mise en place dune université citoyenne qui offre
aux animateurs des organisations dhabitants un espace de formation,
fondé sur léchange dexpériences
et qui vise à renforcer leurs capacités de compréhension
et leurs capacités de négociation dans la construction
de la ville, élus et techniciens disposant déjà
de leurs propres espaces interafricains de formation.
Des ateliers
On apprend les uns des autres ; la mise en place dateliers
de formation citoyenne, prolongeant lesprit de la rencontre
de Dakar, où les trois "collèges" - habitants,
élus et techniciens - puissent se former ensemble à
lécoute, au dialogue, à la négociation,
et travailler précisément sur certains thèmes
dintérêt commun : santé, environnement,
sécurité urbaine.
Des lieux neutres
Favoriser, renforcer les associations de base, et mettre à
leur disposition au plan local un espace "neutre" déchanges,
de rencontre et de négociation, en créant des cadres
de concertation entre elles, dans lequel lélu joue
un rôle de facilitation ou darbitre.Des équipes
déchange et dentraide
Constitution de micro réseaux de communes ou de groupe de
base engagés dans des actions novatrices sur les thèmes
sur les mêmes problèmes et désirant sentraider,
se conseiller mutuellement.
Tenue de rencontres
Rencontres internationales périodiques entre habitants,
élus et professionnels pour évaluer les progrès
accomplis au regard des recommandations ci-dessus.
Observatoire
La constitution dun observatoire africain de la décentralisation,
formé de représentants des trois collèges,
pour suivre et accompagner la mise en oeuvre de la décentralisation
dans les Etats africains.
Réseau interafricain
Création dun réseau interafricain dhabitants
pour échanger des expériences, organiser des rencontres,
se renforcer mutuellement et constituer un partenaire identifié
face aux réseaux de maires et de techniciens intervenants
en Afrique (UVA, PDM...).
Restitution des conclusions
Les participants à la rencontre de Dakar sengagent
à restituer à leurs bases respectives les conclusions
de celle-ci et à susciter des rencontres nationales associant
les trois collèges pour mettre en débat la Déclaration
de Dakar.
Conclusion
La ville, comme la marmite doit tenir sur ses trois pieds : habitants,
techniciens, élus. Les habitants qui sont les plus démunis
de moyens déchange doivent trouver de laide pour
consolider leur pied... Cest pourquoi ils attendent un appui
à la création du réseau des habitants dAfrique
pour quils puissent poursuivre leurs échanges dans
lesprit de la rencontre de Dakar et soient pleinement associés
à lobservatoire africain de décentralisation
et du partenariat.
|